Château Tayac 1982
Je n'attendais pas grand chose de cette bouteille achetée à vil prix sur ebay (20 euros).
L'extraction épique du bouchon, malgré que je sois devenu ces derniers temps un expert du bilame, laissait présager du pire. Au bout d'une demi-heure et beaucoup de patience, je parvenais à extraire, en trois fois, un bouchon qui avait rendu l'âme depuis longtemps. Toutes ces miettes de bouchon dans la bouteille ne faisant pas très présentable, je décide de carafer le vin, puis de le ré-embouteiller en filtrant. Ce qui me rassure d'emblée sont les flagrances qui me montent alors au naso et qui se présentent sous les meilleures auspices. J'observe la bouteille et je constate une fois de plus que, même dans un grand millésime comme 82, le vin titre "seulement" à 12°C. Mais que s'est-il passé depuis? Le réchauffement climatique a bon dos, ici comme ailleurs. Je crois plutôt que le goût du vin, ou tout du moins des vignerons (pas sûr que cette croissance du taux alcoolique soit toujours du goût du consommateur), a sensiblement évolué, les poussant à récolter les raisins le plus tard possible, favorisant la concentration, le sucre, et donc, l'alcool. Tout ça pour plaire au grand Bob qui est devenu, bien malgré lui je pense, la bête noire des défenseurs du vin de terroir ?...
Et pourtant, comme nous allons le voir, un vin à 12°C tient très bien sur la longueur...
J'oublie le vin une bonne heure dans le salon, bouteille ouverte.
La robe est belle, sombre, mais encore bien rouge (comme on peut le voir sur la photo) avec un début d'évolution dans le disque.
Le nez est assez classique, mais ceci n'est pas un qualificatif péjoratif. Très proche de celui du Siran 89 bu récemment, mais penchant plus sur la griotte que sur la mûre, et avec un côté humus, terreux, plus affirmé. Moins élégant peut-être, mais plus terrien. Je ferme les yeux et je me revois petit, rentrant des champignons avec mon père un soir de novembre, trempé jusqu'aux os. C'est un nez de bois humide, couvert d'amanites tue mouche, de cèpes et d'une épaisse mousse d'un vert de Vessie tout tarkovskien. C'est un aussi un nez automnal, de feuilles mortes, des premiers feux de cheminée devant lesquels on met à sécher nos chaussettes mouillées, blotti dans un épais fauteuil et feuilletant un vieux livre de peinture. Oui, c'est ça, il y a aussi une note de vieux livre dans ce nez... Je replonge le nez dans le verre et je retrouve aussi l'odeur du vieux buffet en bois du salon de chez mes grands parents. Oui, une odeur de vieux meuble.
La bouche est douce, souple, ronde, prolongeant cet état entre la nostalgie et la poésie dans lequel m'a plongé le nez. Pas un grand corps, pas une grande longueur, peut-être une légère impression fanée, mais là encore tout à fait plaisante. Une grande harmonie. Un vin presque régressif, tant il agit sur moi comme une berceuse réconfortante. Une impression toute personnelle donc, sans doute renforcée par un état de perception très sensible à la suggestion (82 est mon année de naissance).
Commentaire général: Très bon, mais mon impression est tout sauf objective et rationnelle. Si certains devaient noter le vin dans une dégustation comparée, en analysant chaque paramètre séparément (arômes, matière, concentration, longueur, etc....), ce Tayac n'atteindrait pas des sommets et se retrouverait probablement avec une terne mention "assez bien". Mais l'ensemble a, chez moi, joué des cordes qui n'avaient plus vibré depuis trop longtemps, et la musique que j'entends alors relève d'une grande pièce de Bach! C'est aussi ça la magie des vieux vins, qui semblent comme se charger d'histoire, et vous la restitue dans un dernier souffle... Car la bouteille est vide désormais. Un grand vin du dimanche soir.
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