Un été sous le signe de Bordeaux

Bientôt la fin de la grande dilettante estivale... La reprise du travail de bureau, les jours qui raccourcissent, le retour à une vie un peu plus urbaine (j'ai beau vivre et travailler à la ferme, je travaille aussi à la ville!). On va laisser tomber les tongs et les bermudas, remettre des chaussettes (un coup dur pour mes panards en liberté totale depuis un mois et demi), se coucher plus tôt... et puis réécrire des petits commentaires de dégustation après cette longue trêve, ce sevrage, s'apparentant à un jeûne, d'internet... Pas le meilleur moment de l'année pour moi, mais heureusement, il y a du vin dans la cave et de belles perspectives de dégustation!

C'est donc un peu ma rentrée, et le moment de vous faire partager mes dégustations et découvertes de l'été. Je ressors mes cahiers de dégustation (eux, je trouve toujours le temps de les remplir, à chaque dégustation ou presque), je souris aux souvenirs des moments de franche convivialité partagés autour de ces quelques bouteilles, et je m'aperçois que ces dernières semaines ont été très arrosées, avec notamment pas mal de vins de Bordeaux. Je vous propose donc ici une sélection des quelques bouteilles bues ces trois dernières semaines...


Château Poujeaux 1982:


Bouteille de mon année de naissance (oui, je suis né sous de bons auspices...), et occasion pour moi de découvrir Poujeaux, puisque je suis toujours resté indéfectiblement fidèle à Chasse-Spleen dans l'appellation. 

La robe est d'un beau grenat, plutôt rubis dans le disque qui commence à peine à développer des reflets briques. Une robe qui fait un peu moins que son âge. 

Le nez est assez discret, et ne s'ouvrira jamais vraiment, même après 24 heures d'aération. Peut-être aurai-je dû le carafer? 
On y distingue néanmoins des notes de cassis, de cèdre et de suie. Cette note de suie donne un caractère "froid" au vin qui semble manquer de chaleur et d'opulence. 

La bouche est très agréable, avec une délicieuse matière fondue, ronde et veloutée. Il y a encore de l'acidité, de la vivacité et de la fraîcheur en finale: le vin est loin du déclin. Tout semble en place pour en faire un très beau vin mais là encore, aromatiquement, le vin est campé sur la réserve. 

Commentaire général: Bon, mais petite déception pour ce vin qui me semble fermé. J'en ai deux autres bouteilles que je vais garder consciencieusement en cave. Je reste tout à fait confiant dans la capacité de ce vin à se bonifier d'ici quelques années.  


Noté 15,5 en l'état.



Château Bel Air Marquis d'Aligre 1964:





Si j'adore BAMA (ouais, je fais comme les initiés, je parle en acronyme), j'ai toujours une petite crainte à chaque fois que j'ouvre une bouteille. Car c'est certainement avec ce vin que j'ai eu, dans ma petite expérience d'amateur, le plus de déceptions liées à des bouteilles défectueuses. La sagesse voudrait que je n'y retourne plus, mais l'émotion est si grande lorsque c'est bon que le jeu en vaut la chandelle. Tant pis, je prends le risque. A ce titre, le seul souvenir d'un 1970 extraordinaire bloquera tout élan réfractaire dès lors que la possibilité d'acquérir un vieux millésime du château me sera présentée...

En l'occurrence, cette bouteille je la sentais mal dès le début. Niveau assez bas (entre le milieu et le haut de l'épaule), et bouchon moisi infernal à extraire me faisaient présager du pire. 

Je me sers un verre dès l'ouverture, le matin, en vue d'une dégustation sur le repas du soir. Bouteille juste sortie de la cave. 

La robe est brune, aux reflets évoquant un café léger. 

Le nez est moche... Très animal, sur le fruit beaucoup trop mûr (le pruneau), le viandox, avec une touche de rancio. Ca ne fait pas vraiment vin oxydé, mais bon, on sent bien qu'il y a un problème. 

En bouche, le vin n'a plus aucune matière, il est fluide comme de l'eau. Les arômes sont désagréables sur le pet, le gibier et le viandox. 
Pas d'autres solutions que de poser la bouteille dans un coin dans l'espoir qu'un miracle se produise et de se rabattre sur une bouteille de secours...

Le soir venu, le miracle n'a pas eu lieu, le vin n'a pas bougé d'un iota. Comme c'est toujours un crève cœur de vider une bouteille dans l'évier, je la mets de côté sur une étagère où je l'oublierai pendant 3 jours. 

3 jours plus tard, on retombe sur cette bouteille. On goûte par curiosité. Le vin est cette fois ci buvable. Il s'est sensiblement amélioré au niveau de la matière et du fond. Il a notamment plus de sève, plus de jus. En revanche le goût, c'est pas ça, et cette fois-ci, ça goûte franchement l'oxydation. Y-a t'il eu une fenêtre de tir le lendemain ou le surlendemain que j'ai ratée? Je ne pense pas malheureusement. Ma théorie est que l'échantillon était bien défectueux, mais qu'il s'est malgré tout ouvert (d'où la nette amélioration de l'impression au toucher de bouche). 

Commentaire général: Bouteille morte. Une fois de plus sur ce cru... Mais ce 70 était tellement merveilleux que... vivement la prochaine!


Non Noté.



Château Verdignan 2005:





La robe est grenat, assez légère dans le disque, et montrant à peine quelques premiers signes d'évolution. 

Le nez est particulièrement frais, mais pas dans le bon sens du terme. C'est un nez assez léger et vert, herbacé. Je m'attendais à beaucoup plus de puissance, d'intensité et de profondeur. Là, c'est éthéré, avec du bois et, si on se force un peu, de la réglisse et de la quetsche. 

En bouche, je retrouve cette impression de minceur, de fluidité. Le vin paraît beaucoup plus vieux qu'il n'est, toute la structure s'étant effondrée. Si bien qu'un ami dira que c'est une "caricature de vieux vins". Ce Verdignan apparaît décharné alors que je gardais le souvenir d'un cru de bonne puissance, apte à la garde. On y décèle un peu de cerise, pas mal d'alcool et une acidité élevée en finale. 

Commentaire général: Pas terrible du tout... A t'il mal évolué? C'est une bouteille que j'ai achetée il y a 2 ou 3 ans en Foire aux Vins. Il n'y a qu'à cette occasion que j'achète des vins en supermarché, exclusivement des Bordeaux, et là, je m'étais laissé tenter par le fait que ce soit un millésime un peu plus à maturité qui m'était proposé. Je n'avais jusqu'alors jamais eu de déconvenue avec un vin acheté en FAV. Le vin ne présente pas de défauts particuliers, il est juste étrangement insignifiant. 

NB: A noter que ce vin a une étiquette différente de celle que l'on peut trouver, pour le millésime, en cherchant sur internet. Y a t'il eu plusieurs mises? Celle-ci est-elle la mauvaise?... A suivre...


Noté 12,5



Château d'Agassac 1998:


Mes notes sont très succinctes sur ce vin. La première phrase que j'ai notée reste: "Ne mérite pas de longs commentaires"...  

Robe rouge d'intensité moyenne. Nez assez hermétique et discret, ni jeune, ni vieux, sur la confiture de myrtille et quelques épices. Peut-être fermé? 

En bouche, là aussi c'est assez quelconque. Rien de déplaisant, pas de défauts perceptibles, mais c'est terne, monotone. La matière est plutôt sympa, un vin de demi-corps avec des tanins fondus et une certaine fluidité. Mais c'est d'une neutralité confondante. Tout le monde boit son verre mais personne ne fait de commentaires. Ca passe inaperçu et n'attire pas l'attention. Un peu plus de singularité, mais pas nécessairement méliorative, sur la finale, avec un côté menthol, qui apporte de la fraîcheur, mais qui est accompagné d'une petite pointe d'alcool. 

Commentaire général. Assez bien. Disons que ça se boit facilement mais ça ne restera pas dans les mémoires.  Peut-être un peu fermé, il aurait sûrement bénéficié d'une plus longue aération. Je reste sur beaucoup de déceptions consécutives avec ce millésime...


Noté 13



Château Potensac 1998:




La malédiction du 98 s'est encore abattue sur mon verre! Je n'incrimine pas le millésime mais plus un effet malchance: je ne bois jamais ces bouteilles au bon moment... Non pas que ce Potensac soit mauvais, mais je m'attendais à un très bon vin là où je n'ai eu qu'un vin charmant... Je ne connais pas l'origine de la bouteille, qu'un ami m'a offerte après l'avoir acheté à son voisin, un petit vieux qui vidait sa cave avant de partir en maison de retraite. Il y a donc peut-être un effet bouteille dans mon commentaire, tant je ne reconnais pas le vin que j'ai vu dans les autres commentaires (certes, plus datés).

La robe est sombre, grenat dans le disque, sans trace d'évolutions.

Le nez est très mûr, sur la mûre, le pruneau, le café, le chocolat, le vieux cuir, mais ni profond, ni intense. Un côté un peu poussiéreux trahit un vieillissement assez précoce.

La bouche est étonnamment maigre compte tenu de ce nez bien mûr. La matière est fluide, le vin manque de concentration, s'affichant pourtant dans un registre aromatique assez solaire. C'est bon, mais ça manque d'énergie. Assez court en finale, sur le café froid. 

Commentaire général: Bon. Je fais peut-être un peu la fine bouche et j'ai la critique sévère, mais c'est que je suis un peu déçu. J'attendais plus de matière, plus de concentration, plus de personnalité. Oui, c'est bon, ça se boit bien, mais ça ronronne un peu trop gentiment...


Noté 14




Clos Dubreuil 2001:




Première dégustation de cru assez confidentiel, vinifié par le fils d'une légende de Saint-Emilion. Ca faisait longtemps que cette bouteille me faisait de l'oeil. Un superbe filet de boeuf ferrandais de notre production aura eu raison de ma patience. 

La robe est jeune, opaque, pourpre, aux reflets rouge sombre. 

Le nez est puissant, riche et très mûr sur la liqueur de cerise, la crème de cassis, le chocolat et les épices douces. C'est un nez assurément jeune et se présentant dans un registre assez "rentre-dedans" et démonstratif. "Ca envoie du lourd" comme dira l'un de mes amis à la table.  On pourrait aussi dire que ça roule des mécaniques...

En bouche, c'est moins bodybuildé que le nez ne le laissait présager. Bien que beaucoup trop jeune, le vin remplit la bouche avec élégance et précision. Riche, sur les arômes du nez (crème de cassis et chocolat dominent) combinés au jus de viande (à moins que ce ne soit mon extraordinaire filet de ferrandaise qui vienne se mêler à la partie), la bouche présente une finale fumée de très grande longueur. C'est un vin de caractère mais particulièrement racé. "La classe!" s'exprime l'assemblée. Le fond de verre évoque tout particulièrement ces petits bonbons de cassis enrobés de chocolat noir. 

Commentaire général: Excellent. Si le nez, bien que profond et très beau, m'a fait craindre le genre du vin bourrin à l'américaine, la bouche a révélé un vin qui, bien que puissant et très mûr, avait vraiment une personnalité singulière, et une réelle classe. Son seul défaut est peut-être sa jeunesse un brin insolente. Un vin qu'il faudra regoûter après avoir été dompté par quelques années de cave. Il pourrait alors gagner quelques échelons supplémentaires dans l'échelle du plaisir.

Noté 16,5 en l'état.



Croix de Beaucaillou 2009:





J'ai acheté beaucoup de Saint-Julien sur le millésime 2009. Je n'en ai encore goûté aucun. Je commence par le second vin de Ducru Beaucaillou. 

La robe est jeune, dense, pourpre sombre aux reflets rouges. 

Le nez, à mon goût encore trop marqué par l'élevage, aligne des notes de vanille, de cassis, de petits fruits noirs cuits, avec la fraîcheur du guignolet. 

La bouche est ample, généreuse, de bonne corpulence. Les tanins croquants, encore un peu trop fermes, demandent à se polir. On retrouve les arômes du nez, avec une dominante sur la cerise, puis de la tapenade et la fraîcheur de la ronce sur la finale. 

Commentaire général: C'est bon. Mais clairement trop jeune. En l'état, je trouve ça même un peu chiant... Il faut que j'oublie complètement mes 2009 et qu'on en reparle à la majorité de mes enfants!


Noté 15



Château Soutard 1989:




La robe est sombre, mais présente quand même des nuances d'évolution sur le café. On sent le vin âgé issu d'un millésime ayant favorisé la concentration. 

Il se dégage du nez une étrange (et agréable) impression de chaleur et de fraîcheur combinées. Il y a un côté confiture de mûre légèrement trop cuite, fleurs grillées par le soleil, café moulu, fèves de cacao torréfiées, tabac. Aromatiquement c'est chaud, mais ce n'est pas lourd du tout, on n'est pas dans un registre sudiste. Ca reste assez fin et délicat, avec un côté frais malgré tout, comme si le vin, fraîchement sorti de ma cave, restituait la chaleur qui l'avait vu naître, mais sans la température élévée ni l'alcool. Ou comme si on croquait dans un carreau de chocolat noir 90% qui sortait du frigo: l'aromatique est chaude mais le toucher est frais. Bref, j'essaie hein!

En bouche on retrouve la même impression, mais plus facile ici à exprimer: la confiture de mûre, la prune, voire le pruneau, le poivre, et un côté un peu fumé. Mais là encore pas de lourdeur: c'est mûr, mais pas chaleureux. L'alcool est imperceptible, les tanins totalement fondus, le vin de peu de corpulence. C'est bon, mais il y manque un peu de peps, peut-être d'acidité, de fruits frais ou de touches un peu vertes. Le vin semble alors comme endormi. J'imagine un petit vieux avachi sur son canapé en pleine canicule et qu'on a envie de réhydrater. Il y a sa pipe éteinte à côté de lui, un pot pourri de fleurs séchées sur la table basse, et une confiture de mûre qui bouillonne gentiment dans la cuisine depuis peut-être un trop longtemps. Le bruit du ventilateur qui tourne, l'épisode de Derrick qui passe à la télé... Ca donne quand même envie de faire une bonne sieste... Mais le vieillard est malgré tout bavard, et a encore beaucoup d'histoires passionnantes à raconter!  

Commentaire général: Très bon. Mais je trouve que ce vin est malgré tout un peu pataud, manque d'énergie et de tension. Je ne sais pas prédire l'évolution des vins, mais je conseillerai néanmoins de ne pas trop tarder à le boire, de crainte qu'il ne s'endorme pour de bon.


Noté 15,5



Château Carbonnieux 2010:



Un cru que je n'avais pas bu depuis des années, alors qu'il constituait une de mes références préférées en blanc il y a une dizaine d'années... Faut dire qu'entre temps, la découverte des chardonnays et savagnins du Jura, des chenins de Loire, m'a tenu à distance du sauvignon... Mes goûts se sont plus portés sur les blancs secs, vifs et tendus. L'occasion d'une réconciliation? 

La robe est jaune dorée, claire, aux reflets translucides. 

Le nez est puissant, très mûr, sur une base de fruits légèrement confits. Dominent la pêche cuite et l'abricot et, sur le fond de verre, une pointe un peu plus vive évoquant ce qui a dû être des agrumes de type citrus mais qui s'apparente désormais davantage à de l'orange amère. C'est assez complexe et on peut même y trouver, à l'aération, un côté légèrement fumé. 

La bouche est ronde, ample, volumineuse et très aromatique. On retrouve les arômes du nez, avec une puissance et une intensité de la même trempe. Un léger côté un peu lacté me gâche légèrement le plaisir mais le vin se rattrape sur la finale qui retrouve de la tension, de la vivacité et de la fraîcheur. Etonnant contraste entre l'attaque puissante, le milieu de bouche assez gras et cette finale vive et saillante qui vient magnifiquement rééquilibrer le vin. 

Commentaire général: C'est très bon. Sans ce rééquilibrage sur la finale, le vin me serait peut-être apparu un peu trop lourd, surtout compte tenu de cette note lactée en milieu de bouche. Mais là c'est très digeste, on se ressert avec grand plaisir. Néanmoins je ne suis pas convaincu qu'il faille le garder davantage, de crainte que le vin ne perde sa fougue et ne bascule définitivement du mauvais côté de la force....


Noté 15,5



Château Leoville Barton 2008:




Bon, je sais, c'est un infanticide. Et je regrette aujourd'hui d'avoir craqué ce soir-là, mais mes convives, qui étaient à la ferme depuis 3 ou 4 jours, se plaignaient gentiment de ne boire que des "vieux" vins. Pour les satisfaire, j'ai ouvert cette bouteille. Eux étaient ravis. Moi, un poil frustré.

Le vin se présente dans une robe pourpre sombre, dense, épaisse (à force de boire des vins âgés ou des canons nature, on en oublie que beaucoup de vins ressemblent à ça!).

Le nez n'est pas très puissant, légèrement discret. Pas fermé, mais un peu en sourdine. On y trouve de la vanille, du cassis, du cacao et des épices. Mais ça ne saute pas au nez. Il y a à l'évidence un côté frais et très jeune dans ce nez, avec son corollaire, une petite pointe d'alcool. 


La bouche est charnue, généreuse, charpentée. C'est un vin qui a de la sève! Dans un registre qui m'apparaît très classique pour ce que je sais des grands vins du Médoc, mais ce n'est pas une critique. Il y a du volume, de la suavité, de beaux tanins qui procurent à l'évidence beaucoup de plaisir. On reste sur le cassis, le cacao, la vanille et une pointe d'eucalyptus en finale. Un beau vin, pas encore totalement équilibré pour mon palais, avec une finale encore trop marquée à ce stade par l'élevage. 

Commentaire général: Très bon. Mais sera bien meilleur dans quelques années. Je ne saurai pas dire dans combien de temps (toujours été très dubitatif sur les commentaires du genre: "ce vin sera à son apogée en 2025"....), mais il faut attendre. Après, c'est une question de perception, et donc très subjective. Mes amis ont adoré! Pour ma part, j'attendrai un bon moment avant d'ouvrir la prochaine, que le vin se patine un peu, s'affine et se révèle complètement.


Noté 16



Château Figeac 1988:




Bon, lui, je le dis tout de suite, c'est la star de cette dégustation. J'en attendais pourtant pas tant, surtout après avoir lu le commentaire du père Parker, qui le note 83/100 et le qualifie notamment de vin "maigre, austère, excessivement herbacé, avec de très abondants tannins. [...] léger et étonnamment court en finale". 

Ca ne laissait pas présager du meilleur. Alors petite précision, je ne suis pas un anti-Parker primaire et, même si je n'ai pas vraiment les mêmes goûts que lui, j'accorde de l'intérêt à ses commentaires car il me donne des indications, ou des informations, sur le vin. Un peu comme les commentaires des dégustateurs du forum LPV, sauf qu'avec Parker on a une base de données énorme qui permet de bien saisir ses préférences, et de dresser une sorte de profil de ses goûts. En gros, je lis le commentaire, qui a sa part réelle d'objectivité et qui me donne des informations, mais je n'accorde aucun crédit à la note, totalement subjective elle, pour le coup. 
Bref, compte tenu de ce commentaire comparativement à la bouteille que j'ai bue ce jour là, nous n'avions, à l'évidence, pas le même vin dans le verre. Donc soit sa bouteille était défectueuse (bien que je comprenne un peu sa remarque sur le côté herbacé, mais je vais y revenir), soit le vin a considérablement évolué depuis (sa dégustation date de 1993). 

Il est donc grand temps de faire une petite mise à jour. 

Pour la petite histoire, j'ai acheté très récemment cette bouteille, vendue à un prix qui me semblait raisonnable sur un célèbre site d'enchères (c'est toujours trop cher quand même), raisonnable donc compte tenu de l'idée que je me figurais de ce vin (après n'avoir goûté qu'un seul millésime il y a plusieurs années!). En principe, quand je fais ce genre d'achat, j'épluche sur internet tous les commentaires disponibles, je lis les commentaires dans le guide Parker... bref, je m'assure de ne pas me vautrer totalement. Là, pour une raison que j'ignore (mon bon feeling avec le millésime 1988, l'image que je m'étais créée de Figeac comme étant un grand vin), j'ai acheté aveuglément. Ce n'est qu'après avoir reçu ma bouteille que j'ai lu tous les commentaires. Bon, sur le moment j'étais un peu "deg"... Revenait souvent la mention: "Aurait dû être bu"... C'est ce qui me décida à ne pas tarder à ouvrir cette bouteille. 

Niveau et bouchon impeccables. Dès l'ouverture, ce qui émane du goulot sent délicieusement bon. 

La robe est encore étonnamment jeune, d'un beau grenat soutenu légèrement éclairci de rubis dans le disque. Très légères traces d'évolution, mais c'est une robe qui fait 10 ans de moins. 

Le nez est juste superbe, distingué, d'une élégante complexité. Ca roule pas des mécaniques, c'est fin et profond à la fois. La première impression est une impression délicate de fruits frais (cerise) et de fleurs séchées. L'aération donne du volume au nez qui se charge de fruits plus noirs (mûre) et de notes persistantes d'herbes aromatiques, romarin et cardamome. Un nez qui pourrait plus évoquer un très grand cabernet franc de Loire à maturité que le classicisme de Saint-Emilion (si cette notion a un sens). Remarquable, nous resterons longtemps le nez dans le verre, retardant le moment de goûter de crainte que ce côté herbacé ne bascule en bouche sur la maigreur et l'austérité évoquées par Parker.

Que nenni! La bouche est somptueuse, fondue, avec de délicieux tanins frais encore vibrants. Pas un vin de grosse corpulence, mais un vin raffiné et encore incroyablement jeune. Je rigole beaucoup quand je repense qu'il "aurait dû être bu" et je me dis que nombreux sont ceux qui, en suivant ce mauvais conseil, sont passés à côté d'un grand vin... Il est certain que ce vin joue dans un registre dans lequel je ne l'attendais pas. On sent ici la grosse influence du cabernet franc, avec une touche herbacée qui domine la finale, sur la cardamome et le camphre. La cerise du premier nez bascule ici plutôt sur le noyau de cerise, accompagné de notes réglissées, avec la mûre qui s'affirme davantage. C'est très très bon et tout le monde, passée l'extase des premières impressions, se dépêche de finir son verre pour avoir la chance de s'en servir un deuxième. Car la bouteille ne fera pas un pli! Quant à la longueur (un vin "étonnamment court" disait Parker), elle me semble plutôt correspondre, selon mes critères, à celle d'un grand vin, tapant autour des 10 caudalies (mais bon, j'ai peut-être pas le même référentiel que Bob...). Certes, la finale, marquée par le cabernet franc et ces notes herbacées, ne tapisse pas le palais d'un jus dense et épais, mais un vin peut être fin ET long!

Commentaire général: Superbe! Pour moi, c'est un grand vin, dans le sens où il nous a procuré un plaisir énorme. Cela confirme la très bonne expérience que j'ai depuis 2 ou 3 ans avec ce millésime, et cela conforte la haute opinion que j'ai de ce château, qu'il me tarde maintenant de découvrir sur d'autres millésimes. Je ne regrette pas mon achat, bien au contraire. Cela me rappelle aussi que les commentateurs de tout poil n'ont pas paroles d'évangile!     


Noté 17

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