Soirée autour du Jura

C'est la lecture de ce billet, de cet excellent blog, qui m'a inspiré pour cette soirée. La lecture de ce billet m'avait sacrément mis l'eau à la bouche. J'ai donc invité quelques amis, cuisiné tout l'après-midi (j'ai grosso modo proposé le même repas), et sorti quelques bouteilles jurassiennes de ma cave...



A l'apéro, j'ouvre une bouteille de Ganevat: "Le Zaune à Dédée". Un vin que j'avais acheté en quantité, mais que je n'avais encore jamais eu l'occasion de déguster. Faut dire que sur le papier, il avait tout pour me plaire: assemblage de Gewurztraminer et de Savagnin, macéré, et élevé sous voile. Oeuf, jambon fromage: bref, La Totale. Restent des incertitudes tout de même: j'ignore le millésime, la durée d'élevage... C'est un vin qui s'annonce pour le moins très original! 

- Ganevat: "Le Zaune à Dédée"

La robe est superbe, orangée aux reflets "beiges", et bien trouble. Elle évoque un cidre artisanal non filtré qui aurait perdu ses bulles. 

Le nez est MAGNIFIQUE. C'est la synthèse et le meilleur des deux cépages, et des deux types de vinification (macération et élevage sous voile). On y retrouve les arômes de rose et de litchi du Gewurz, complexifiés par la macération de notes d'épices orientales. L'élevage sous voile est à peine perceptible, le caractère oxydatif du vin n'est pas très marqué. On y retrouve tout de même les arômes de pomme, de raisin de Corinthe et de fruits à coque du savagnin sous voile (mais le vin n'est pas du tout marqué par la noix, ce serait plutôt l'amande effilée et grillée). C'est en tout point remarquable et exactement ce que je recherche en ce moment. C'est le meilleur pif que j'ai reniflé depuis un bout de temps. 

La bouche ne déçoit pas. Elle est ronde, soyeuse, charnelle, avec du volume mais sans aucune lourdeur ou aspérité. Ca coule de source tout en étant bien ample et presque charnu. L'équilibre est remarquable. L'acidité est là pour apporter une tension suffisante au vin, un peps nécessaire pour équilibrer ce vin bu tempéré.  La complexité aromatique est exceptionnelle sur la rose séchée, les épices orientales, le raisin sec, la noisette grillée, le pommeau de Normandie et une fraîcheur sur la finale qui évoque le kumquat. Superbe. Tous mes amis sont sur le cul.

Commentaire général: Gros coup de coeur. Ca correspond assez précisément à l'idée que je m'en faisais, et mes espérances étant très hautes, je craignais la déception. Que nenni! Ce vin m'a surpris par sa capacité à répondre précisément à mes fantasmes et mes envies. C'est pour moi (et pour la plupart des autres aussi), la bouteille de la soirée.  


Noté 18/20


On enchaîne avec l'entrée, saucisse de morteau sur râpée de pommes de terre, fondue de poireau et oeuf poché. 

- Camille Loye, "Cuvée Saint Paul", 1985:

La robe est légère, assez claire, sur des nuances de rouge ambré, avec des reflets peaux d'oignons très marqués sur les bords.

Le nez est fin, délicat, léger. Débutant sur une première impression légèrement animale, le nez s'affirme ensuite sur la prune cuite, la griotte, les épices (curcuma) et des effluves florales très délicates sur la rose séchée. Là aussi j'y retrouve sur le fond de verre un côté agrumes, que j'associe au kumquat. Je relève cela dit une toute petite pointe d'oxydation. Il est temps de le boire. 

La bouche est soyeuse, aérienne, plus marquée par les épices que le nez. Le fruit s'affirme dans un registre aromatique plus mûr (la prune devient pruneau) tout en restant très fin. C'est une sorte de "Domaine des Tours" évanescent... Il serait intéressant de comparer avec la cuvée de Reynaud au même âge. Un vin au charme quelque peu désuet, mais c'est pas pour me déplaire. Car il reste le charme. 

Commentaire général: Très bon. Je pense néanmoins que le registre aromatique annonce un basculement vers l'oxydation et je conseillerai à ceux qui en possèdent de ne pas trop tarder à le boire. J'avais préféré le 89 et le 90 de cette même cuvée.   


Noté 15,5/20



On attaque ensuite le gros morceau, avec le poulet aux morilles et au vin jaune. Enfin pas vraiment au vin jaune puisque j'ai utilisé une cuvée "L'étoile" de Philippe Vandelle dans le millésime 2011 pour la cuisson. Il en reste un fond de bouteille que j'ai dégusté pendant que je cuisinais. 


- Philippe Vandelle, "L'étoile", 2011:

La robe est jaune dorée, assez claire pour l'appellation. 

Le nez est très "classique" du savagnin oxydatif, sur la noix fraîche, la pomme verte, et les épices. Pas très puissant, c'est pas très "jaune" et reste assez fin. Un peu basique, ça manque de la complexité que je recherche sur ce style de vin. 

La bouche est assez fraîche, de corpulence moyenne. C'est un oxydatif pas très puissant, qui lorgne vers l'ouillé. On retrouve la pomme reinette et la noix, les épices étant plus en retrait. C'est pas mal, mais là encore, ça manque de complexité. Cela dit, c'est nettement préférable aux oxydatifs lourds et puissants!

Commentaire général: C'est bon, mais peut-être un peu trop simple et quelconque. Il faut dire que j'ai un niveau d'exigences très élevé sur ce type de vin. Le vin n'était pas assez typé pour la sauce du poulet. Mon poulet au vin jaune manquait de goût de jaune... 


Noté 14/20



Le premier verre servi avec le poulet est un verre de savagnin du domaine de la Pinte. 

- Domaine de la Pinte, "Arbois, Savagnin", 1999:

La robe est jaune dorée, légèrement ambrée et légèrement trouble. 

Le nez est assez complexe et changeant, par moments très agréable, puis à d'autres moments un peu écœurant. On y trouve la pomme verte, la noix, les épices à curry, et un côté lacté / levure fraîche (ça évoque par moments le levain) qui peut par moments donner cette impression de léger écœurement. 

La bouche me donne la même impression que le nez. La matière est agréable, l'aromatique complexe, avec une belle acidité en finale. C'est très bon, mais là encore, ce côté lacté / levain peut à force s'avérer gênant. On en boirait pas des seaux...

Commentaire général: C'est bon, mais je ne sais pas trop quoi penser en l'état de ces notes aromatiques assez spéciales. Ce n'est pas la première fois que je les rencontre dans les blancs oxydatifs du Jura. Parfois elles basculent du bon côté de la force, et donnent alors des notes de truffe fraîche superbes. Et parfois elles sombrent trop dans le levuré, et le vin en devient écœurant. Ici, le vin aurait plutôt tendance à suivre la mauvaise pente, même s'il reste dans l'ensemble très agréable. 


Noté 14/20



- Henri Maire, "Château Chalon", 1982:

Il s'agit d'une figure emblématique des vins du Jura. On trouve même des peintures promotionnelles de ses vins sur de vieilles bâtisses en Auvergne. Il y en a notamment une non loin de chez moi, à Lavoûte sur Loire. Mais je n'avais encore jamais goûté les vins, qui n'ont pas très bonne réputation chez les amateurs. 

La robe est dorée profonde, légèrement ambrée. 

Le nez est puissant. Contrastant fortement avec le savagnin de Vandelle, on a ici un jaune qui ne fait pas dans la dentelle. C'est du lourd! On y trouve des arômes puissants de noix, de tourbe et de fumée pouvant même évoquer, par certains aspects, un vieux Whisky.

La bouche n'est pas aussi puissante que ce que le nez laissait présager, mais le vin reste tout de même dans un registre "viril". C'est puissant et encore très jeune, le vin n'a pas encore basculé dans la complexité aromatique que je recherche sur ces vieux millésimes.  

Commentaire général: OK, c'est bon, mais pas au niveau où je l'attendais. J'avais grandement préféré le 1979 de la fruitière bu avant l'été, et on est loin de ce que je connais et bois habituellement dans l'appellation (Macle, Bourdy, Perron). Là, ça manque un peu de finesse. Ceux qui en ont seraient sages d'attendre encore une paire de décennies. 


Noté 15/20



Pour le dessert, je n'avais malheureusement plus de "Sul'Q" de Ganevat. Il me semblait pourtant en avoir encore une de réserve... Je ferai donc une entorse au Jura, et on conclura sur une tarte à l'ananas avec un Rayne Vigneau 1970 qui remplira parfaitement son office. Un vin au sucre digéré, sur la mirabelle et le caramel au beurre salé. Une vraie caresse en bouche, sans grande longueur ni complexité, mais d'une attachante douceur. Un vin noté 16/20. 



 


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