Sauternes...

Je sors très régulièrement des liquoreux en fin de repas quand je reçois. C'est ma valeur sûre pour accompagner les desserts. 

Ces vins plaisent toujours mais les bouteilles sont rarement finies. C'est vraiment le genre de vin qu'on sirote par petites gorgées, et qu'on savoure à faibles doses. 

Ces fonds de bouteilles restent quelques semaines dans ma cuisine, je m'en ressers régulièrement un petit verre jusqu'à ce qu'elles soient vides, je vois ainsi comment les vins évoluent dans le temps. 

Je fais ici un petit rattrapage de quelques liquoreux bus ces dernières semaines (pour la région bordelaise, les liquoreux de Loire feront l'objet d'un autre post). 



Château Sigalas Rabaud 1980

 

La robe est dorée intense, brillante, peu évoluée. C'est de loin la robe la plus jeune de toute la série. 

Le nez déçoit d'emblée, en raison de sa discrétion et de son manque de complexité (qui est quand même ce que je recherche dans un liquoreux à maturité). A l'aération, et passés quelques arômes discrets de fruits confits et d'agrumes, s'imposent des notes qui ne me plaisent pas, des notes lactiques, levurées, et de champignons. Aïe, ça n'annonce rien de bien reluisant. 

La bouche confirme les craintes du nez. C'est assez plat, douceureux, avec ces notes levurées que je n'aime pas (que je retrouve aussi parfois dans les vieux jaunes). On retrouve aussi ces notes lactées avec une impression un peu artificiel de Yop aux fruits exotiques. Le vin s'effondre en finale, et malgré sa jeunesse apparente, il me semble bien mort. Il ne s'améliorera pas au cours des jours suivant et finira dans un fond de cocotte lors de la cuisson d'un lapin...

Commentaire général: Pas bon. Non, là, c'est pas ça. Je ne sais pas si c'est une bouteille défectueuse ou si c'est juste un vin faible, dans un millésime médiocre, mais j'ai rarement bu un sauternes aussi déplaisant. 


Noté 8/20



Cru d'Arche Pugneau 1996

Belle robe vieil or, brillante qui commence à basculer sur l'ambre.

Le nez est très complexe, avec un beau rôti sur l'abricot confit, la confiture de mirabelle, la cire d'abeille, la compote de coings et la noisette grillée. Un nez encore jeune, dont on sent qu'il cache un vin porté par une grosse liqueur.

La bouche est massive, volumineuse, avec une liqueur abondante donc. Mais malgré cela, c'est une bouche très charnelle qui apporte beaucoup de plaisir gourmand. On retrouve la complexité aromatique du nez, avec l'abricot confit et la noisette. La finale trouve tout juste ce qu'il faut d'équilibre avec un mélange d'épices à gâteaux et de marmelade d'agrumes. 

Commentaire général: Très bon à excellent. Un très beau Sauternes qui mériterait de s'affiner et de s'assagir un peu par une décennie de cave en plus. Mais en l'état il apporte déjà beaucoup de plaisir. 

 

Noté 16/20



Château Caillou - Crème de tête 1975

La robe est sombre, couleur bronze aux reflets cuivrés. 

Le nez n'est pas très séduisant au premier abord, avec une note de quinine qui bascule sur des odeurs pharmaceutiques pas très nettes. En insistant, et en aérant le vin, ça s'améliore avec des notes d'agrumes, de raisins de Corinthe, d'épices et de brioche chaude. 

La bouche est plus intéressante, le côté pharmaceutique disparaissant totalement et un profil sur la brioche chaude aromatisée à la fleur d'oranger s'impose. Cette notion de "chaude" peut paraître surprenante à ressentir dans un liquide froid, mais je trouve que l'odeur et le goût de la brioche qui sort du four ne sont pas les mêmes que pour la brioche refroidie. J'y trouve aussi une note de café (qui s'associe très bien à la brioche), et de noisette grillée. La liqueur est très raisonnable, le vin est bien équilibré, avec une finale fraîche sur la marmelade d'agrumes. 

Commentaire général: Très bon. Le nez n'est pas folichon et dénote par rapport à la bouche. On peut garder quelques impressions du nez en bouche, ce qui peut amoindrir le plaisir. Sinon, c'est un profil de Sauternes que j'aime bien, avec une liqueur raisonnable et des arômes peu fréquents dans ce type de vin (pas de rôti ici, ni d'abricot, de pêche, etc...). 

 

Noté 15/20 



Cérons 1947 (domaine ou vigneron inconnu)

C'est une étiquette passe-partout illustrée fournissant seulement l'appellation. Le millésime a été apposé après-coup, sûrement par tamponnage. Je ne connais donc rien de ce vin. 

La robe est ambrée, peu dense. Si sa couleur est tout aussi sombre que celle du vin précédent, on voit beaucoup plus au travers. 

Le nez est très beau, très complexe, expressif, sur le caramel au beurre salé, l'orangette, les épices douces et les fruits secs. C'est largement le nez le plus complexe et fascinant de la série. 

La bouche est superbe, magnifiquement équilibrée, avec une liqueur intégrée et discrète et une matière élégante. On y retrouve une grande intensité aromatique sur les notes du nez et une longue finale sur l'orange confite avec de superbes amers. 

Commentaire général: Excellent. Un très beau liquoreux. On ne peut pas louer son géniteur pour la réussite de ce vin anonyme, mais c'est vraiment très bon!

 

Noté 16,5/20

 

 

Domaine Rousset Peyraguey - Vin de Voile 2007

63 mois d'élevage en fûts sans ouillage! Un vin sur le papier très intrigant, même si j'ai un mauvais souvenir de ma précédente bouteille du domaine, et un souvenir pas très mémorable de ma rencontre du vigneron en salon... J'entame donc la dégustation avec un sentiment mélangeant excitation et à priori...


Étonnante robe orangée aux reflets cuivrés, légèrement trouble.

Beau nez, très complexe, d'une belle intensité aromatique, sur des notes d'abricots secs, de fruits confits, d'épices orientales et de fruits secs (noix sèche surtout). Je ne perçois pas le profil oxydatif du vin au nez. 

En bouche on a un liquoreux puissant, très aromatique (sur les notes perçues au nez, avec une dominante de fruits secs), porté par une bouche épaisse et concentrée. Je déplore un sucre envahissant qui donne à la bouche une sensation sirupeuse. C'est trop pour moi. La finale gagne un peu en tension mais l'impression reste trop sucrée. Si ce n'est une aromatique plus porté sur les fruits secs que les fruits confits, je ne sens pas l'apport de l'oxydation ménagée.

Commentaire général:  Très bon. Sera peut-être excellent dans quelques années, si il s'équilibre un peu plus pour mon palais en gagnant un peu en tension et en abaissant la sensation de sucres. Je dois avouer une petite déception car l'étiquette était assez excitante alors qu'on a à faire à un liquoreux assez classique. Bien meilleur en tout cas que le "Sélection Crème de tête 2005" que j'avais bu précédemment (une ode au néant). Ca me réconcilie un peu avec le domaine. 


Noté 15,5/20

 


Château Portail Rouge 1947

Une bouteille partagée ICI

Pas grand chose à rajouter au commentaire de Eric. 

La robe est dorée intense, très jeune compte tenu du millésime (on revient sur une robe proche du Sigalas Rabaud).

Le nez est magnifique sur l'abricot, la mirabelle, les épices douces et la marmelade d'orange. C'est profond et complexe, avec une sensation de fraîcheur et de jeunesse stupéfiante. 

La bouche est à l'avenant. Distinguée, à l'équilibre remarquable, et là encore, d'une jeunesse ébouriffante. Ce vin paraît éternel avec une interminable finale sur les agrumes confits et les épices douces. Il a tout d'un grand vin. 

Commentaire général: Excellent. C'est un grand liquoreux, très classe, harmonieux. Le plus beau vin de la série avec le Cérons. Cela m'amène à la conclusion suivante...


Noté 17/20



Conclusion

Dans l'ordre, les meilleurs vins sont:

- Portail Rouge 1947

- Cérons 1947

- Arche Pugneau 1996

- Rousset Peyraguey 2007

- Caillou 1975

- Sigalas Rabaud 1980


J'en conclue ce que je savais depuis déjà longtemps, mais qui se révèle d'autant plus vrai avec les liquoreux (je n'ai peut-être pas le palais très affiné avec ce genre de vins, mais je trouve moins d'écart qualitatif entre un grand vin, disons Yquem, et un bon Loupiac bien fait par exemple, que les écarts qualitatifs considérables que je relève sur les autres vins, rouges ou blancs, entre un grand vin et un plus petit vin). Bref, ce constat c'est qu'il vaut mieux 100 fois acheter un "petit" liquoreux dans un grand millésime qu'un "grand" liquoreux dans un petit millésime. L'exemple parfait étant ce Cérons, que j'ai du payer 40 euros, et qui surclasse bien des premiers crus de Sauternes dans des millésimes moyens. 

Ce constat, valable je pense pour tous les vins, est pour moi d'autant plus vrai pour les liquoreux. Combien de fois ai-je pris un énorme plaisir avec des "petits" liquoreux nés de grands millésimes (45, 47, 49, 55...) et combien de déceptions sur des premiers crus nés de millésimes plus faibles... On peut encore trouver ces vins, qui ne sont pas très recherchés, à des prix très raisonnables. Pourquoi mettre alors 2 fois plus dans un premier cru quelconque, surtout si c'est pour le boire rapidement?... Sûrement pour présenter une belle étiquette... Mais même là, je peux vous assurer que quand vous mettez une bouteille de 70 ans sur la table, et que le contenu est excellent, ça fait bien plus son effet et ça marque bien plus les mémoires (des amis me reparlent plus volontiers des 1950 qu'ils ont bu chez moi que de certains Yquem que je leur ai servis)!



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